Les factions
En brésilien, on les nomme « facções », factions. Ce sont des organisations criminelles généralement actives dans les trafics de drogues, d’armes, trafics humains, séquestrations, cambriolages de banques et autres entreprises, … Elles dominent les territoires urbains des favelas dans la majeure partie du pays. Elles y imposent des règles de vie et « protège » les communautés contre les autres factions et les forces de polices.
Ici, je vais en présenter quelques unes, de celles qui occupent tout le pays et de celles qui sont plus récentes, plus régionales dans les états du Nordeste où je vis. (voir la liste ci-dessous)
Les milices
Mais il y a aussi les milices, des organisations également criminelles qui sont généralement issues d’anciens policiers civil ou militaire, de pompiers, d’agents de sécurité … Rien n’est simple! Elles se positionnent en complément des pouvoirs officiels, gardant des liens étroits avec leurs anciens collègues.
Codes et lois
Chaque organisation a ses symboles; tattouage, signe de la main, numéros, … Mais la loi du silence est d’or. Il y a des oreilles partout. On ne parle pas des gangs et on ne fait pas de signe de l’opposition avec ses doigts, ou alors on prend de gros risques.
Quelques groupes criminels et leur puissance
Qui sont ces groupes criminels ?
Comando Vermehlo
CV (=Commando Rouge) – Rio de Janeiro puis tout le pays et les pays voisins
Cette la première faction créée dans le pays. Elle voit le jour dans en 19790 dans la terrible prison d’Ilha Grande dans l’Etat de Rio de Janeiro. Ce pénitencier regroupe les prisonniers politiques et les criminels qui sont torturés et maltraités. Les prisonniers se regroupent pour mettre en place une caisse commune, alimentée par l’argent des vols commis par ceux qui sont libres, afin d’améliorer leur condition de vie dans le pénitencier mais aussi de financer des évasions de ce lieu particulièrement difficile.
En quelques années, les activités de l’organisation s’exportent à l’extérieur des prisons grâce aux « enseignements » des prisonniers politiques. Le modèle s’étend dans les favelas de Rio pour devenir une organisation structurée avec système de soutien des populations « abandonnées » par l’Etat.
Ses principales activités criminelles sont l’enlèvement, les assassinats, trafics d’armes et de drogues, braquages, vols, fraudes, corruption, blanchiment d’argent… L’organisation exige des cotisations de ses membres (récolté dans les familles des territoires occupés et les prisonniers). Les cambriolages et le trafic humain perdent en importance avec le temps, en faveur de celui de la drogue et des armes.
Depuis des années, les chefs du CV, en prison, gèrent l’organisation depuis leur cellule. Fernandinho Beira-Mar, enfermé depuis 18 ans et condamné à plus de 200 ans de prison, donne même des interviews aux journalistes venus le visiter dans sa prison de Porto Velho, à 3000km de Rio de Janeiro. Il y vit dans des conditions privilégiées, avec grande cellule particulière, droits de visites, y compris intimes, confort amélioré, accès aux moyens de communications…
Plusieurs films retracent l’histoire du CV : 400 contre 1, la Cité des Dieux.
« CV interdiction de voler dans la favela »
Bien qu’en léger recule, le CV est aujourd’hui actif dans la plupart des capitales des états du Brésil, et dans les pays voisins tels que Paraguay, Bolivie, Vénézuéla, Colombie et Pérou. Au Brésil, les territoires sous domination CV, dans les favelas, se voient imposer des règles de vie telles que : interdiction de se droguer devant les enfants, interdiction de voler au sein de la communauté…
Le signe du CV se fait avec 2 doigts, généralement l’index et le majeur collés ou en V.
Primeiro Comando da Capital
PCC (=Premier Commando de la Capitale) – São Paulo puis tout le pays et les pays voisins
C’est actruellement (2019) la plus grande organisation criminelle du pays.
En 1993, sur le modèle du CV, 8 prisonniers incarcérés dans la prison de Taubaté à São Paulo créent une nouvelle organisation pour « combattre l’oppression au sein du pénitencier ». C’est aujourd’hui la plus grande faction du pays avec plus de 30’000 membres actifs, dont 6’000 en prison.
Lors d’une émeute, les prisonniers se sont réfugiés sur le toit de la prison et exibent les slogans « PCC paix, justice et liverté » et « Contre l’oppression »
Elle est responsable de plusieurs émeutes dans les prisons brésiliennes ainsi que de nombreux attentats contre des bâtiments publics (postes de police, tribunaux, bus…). Cette faction se finance principalement avec l’argent de la drogue, mais aussi avec des cambriolages (banques, convois routiers…). En outre elle demande une cotisation mensuelle à ses membres : 50R$ (env. 12€) pour ceux qui sont emprisonnés, 500R$ (env-120€) pour ceux qui sont libres pour acheter notamment des armes.
Le PCC était alié au CV jusqu’en 2016. Mais plusieurs émeutes et morts de part et d’autre dans les prisons ainsi que des alliances du CV avec FDN en Amazonie ont mis un terme à plus de 3 décennies d’amitié. Aujourd’hui, les deux factions se combatent et le PCC vise les territoires au sein même du fief CV: Rio de Janeiro.
Le PCC est connu pour être une faction particulièrement bien organisée et qui traite le commerce de drogue ou d’armes à la tonne et de manière internationale. Malgré les guerre qu’il mène contre d’autre faction dans les favelas et les prisons, qui font de nombreuses victimes, le PCC est l’une des factions qui « protège » le plus les populations des territoires qu’il domine, interdisant toute vente de drogue, tout vol ou violence.
Tout comme le CV, le PCC finance aussi les campagnes électorales du pays afin d’augmenter encore son pouvoir sur les politiques.
Les signes du PCC sont le cercle du Ying et du Yang, ainsi que le nombre 1533 que l’on voit tagué sur les maisons des favelas. Le PCC se désigne également par 1533 : 15 pour la 15ème lettre de l’ancien alphabet portugais, deux fois 3 pour la 3ème.
Familia Do Norte
FDN (=Famille du Nord) de Manaus, capitale de l’Etat d’Amazonas, puis sur tout le pays et la Colombie
Cette faction vient du centre de l’Amazonie, Manaus. Elle a été créée en 2010 en réaction aux activités de narcotrafic du PCC dans la région. C’est la troisième plus grande faction du pays.
Alors que le PCC domine actuellement le contrôle des frontières, FDN semble avoir de forte connexions sur le marcher de la drogue internationale avec les FARC de Colombie. Les tensions sont fortes et les assassinats dans les pénitenciers vont bon train.
FDN s’est alié au CV depuis quelques années, afin de contrer le PCC et sa domination sur les frontières amazoniennes avec les pays voisins, fournisseurs d’arme et de drogue. C’est d’ailleurs la raison de la rupture entre PCC et CV; plusieurs émeutes ont fait de nombreuses victimes dans les prisons (voir carte ci-dessous).
Sindicado do Crime do Rio Grande do Norte
SRN (=Syndicat du Crime du Rio Grande du Nord) de Natal (capitale du Rio Grande do Norte)
Je ne connais de cette faction que ce qu’une femme de la police civile de Natal m’a raconté lors d’un voyage où je me trouvais assise à côté d’elle. Ceci retrace donc le sentiment de l’intérieur d’une policière.
SRN est une faction particulièrement active et cruelle. La ville de Natal a vu sa criminalité exploser ces dernières années et se situe dans le top 3 des villes les plus dangereuses du pays actuellement. La guerre est déclarée avec les polices civile et militaire : lorsqu’un policier est abattu, les forces de l’ordre abattent 20 à 30 personnes dans les territoires SRN dans les jours suivants !!!
Guardiões Do Estado
GDE (=Guardiens de l’Etat) de Fortaleza, capitale du Ceará
Issue des milices de l’Etat (voir onglet Milice), cette faction est jeune et mal organisée par des chefs souvent peu scolarisés mais très violent. GDE a conquis un grand nombre de territoires dans les favelas de Fortaleza.
Entre 2013 et 2016, la violence était à son comble à Fortaleza avec une explosion d’homicides. Puis en 2016, les 4 gangs PCC, CV, FDN et GDE ont souscrit un accord qui a permis l’arrêt des violences durant 1 an. Les guerres de territoires ont depuis repris. On compte entre 2 et 3 homicides par jour, selon les données que j’ai pu récolter auprès de la police des homicides de Fortaleza durant ma semaine à Fortaleza du 14 au 20 septembre 2019 (voir article Reportage à Frotaleza). Actuellement, CV détient le plus grand territoire, puis vient GDE alors que PCC et FN sont plus modestes.
Une des entrées de la favela de Mucuripe à Fortaleza : ceux qui y pénètrent en voiture doivent baisser leur vitre pour que les membres du GDE puissent les voir et ainsi éviter de tirer !
Une nouvelle vague de violence a éclaté juste après mon départ le 20 septembre 2019. Des bus, des camions de livraison, des supermarchés, des transports scolaires, etc. ont été incendiés. Ces violences sont les revendication du GDE pour l’amélioration des conditions de vie de leurs membres incarcérés. Ils veulent, notamment, une plus grande souplesse pour l’accès aux téléphones portables.
Il existe un ensemble de codes que les jeunes des favelas m’ont appris pour reconnaitre et être reconnu dans les différents territoires :
GDE : pour informer de leur domination, on trouve des inscriptions sur les maisons à l’entrée des territoires telles que : 745 (7ème lettre de l’alphabet, 4ème et 5ème). Le gang se définit aussi par 3 doigts levés. Plusieurs personnes ont perdu la vie pour avoir fait de stupides V avec 2 doigts sur les selfies/photos.
Okaida (ou Al Quaeda)
OKD à João Pessoa, Etat de Paraiba
Cette faction a vu le jour dans les prisons de la Paraíba entre 2002 et 2004 et ses actions violentes ainsi que son nom sont inspirés par l’organisation de Ben Laden; Al Qaïda.
Le Brésil n’a que peu de musulmans et l’organisation Okaida se concentre plutôt sur le trafic de drogue que sur la religion islamique qu’elle ne connait pas. Elle revend le crack acheté en gros auprès du PCC. Cependant, le PCC s’est dernièrement éloigné de Okaida car elle préfère les actions plus discrètes que les violences spectaculaires de la jeune organisation, qui attirent l’attention des autorités.
Estados Unidos
(=Etats Unis) à João Pessoa, Etat de Praíba
En réaction immédiate à Okaida, les rivaux criminels des pénitenciers de l’état de Paraíba ont crée la faction Estados Unidos. Les deux factions sont en guerre depuis leur création.
Cette faction s’est rapprochée dernièrement de PCC, ce qui lui permet de gagner en puissance face à sa rivale encore largement dominante sur la ville.
Les Milices
Dès les années 80, des milices se sont formées et sont intervenues comme pouvoir parallèle pour accéder aux favelas et leur proposer une alternative aux factions. Au début, elles s’imposaient sur certains territoires afin de protéger les populations contre les activités des trafiquants de drogue. En échange, elles demandaient une cotisation aux familles et étaient capable de crime en cas de non paiement.
Les membres actifs des milices sont d’anciens militaires, force de l’ordre, pompiers, mais aussi voyous des favelas. La faiblesse des salaires, le manque de formation et de soutien psychologique, les confrontations aux situations extrêmes et souvent aussi leur propre histoire familiale poussent certains fonctionnaires à trouver une autre voie plus lucrative et souvent moins dangereuse, quitte à se mettre dans l’illégalité.
Les milices se positionnent comme pouvoir parallèle dont l’objectif est de combler les manques des autorités. Ils gardent des liens forts, souvent corrompus, avec leurs anciens collègues et fonctionnaires de l’état et bénéficient ainsi d’une certaine impunité.
Elles ont mis la main sur un nombre toujours plus grand de services aux habitants : fourniture du gaz, de l’eau, des travaux publics, transport de bus … dans les quartiers afin d’y prélever des commissions. Depuis quelques années, ils ont pris part au trafic de drogue et travaillent en collaboration avec les factions.
Les milices sont en grande expansion et occupent des territoires sur tout le pays.
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