Dans le cadre de mon travail bénévole pour Terre des Hommes au Brésil, j’ai été invitée à passer une semaine, du 14 au 21 septembre 2019, à Fortaleza en qualité de traductrice allemand-portugais pour un reportage sur la vie des ados dans les favelas. Kinder Not Hilfe, ONG allemande qui intervient dans 32 différents pays pour venir en aide à plus de 2 millions d’enfants, a contracté le youtuber Felix, chaine tomatolix, et son caméraman Niels, pour qu’ils effectuent ce reportage sur les conditions de vie des jeunes issus des favelas.
Le reportage, en allemand, est diffusé sur la chaine youtube tomatolix.
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Lorenz (de Kinder Not Hilfe),
Felix (le youtuber) et
Niels (le caméraman).
Nous avons travaillé près de 12h par jour pour parcourir les lieux et rencontrer les différentes personnes que le directeur de Terre des Hommes Brasil, Renato, nous a organisé.
Pour ce qui est des ados, nous avons rencontré deux groupes dans deux favelas différentes :
Pirambu
Situé le long du littoral nord de la ville, la favela de Pirambu a environ 100 ans. Initialement, lieu de refuge pour malades (lèpre, choléras,…), Pirambu est devenu peu à peu un territoire de pêcheurs. Aujourd’hui, la municipalité souhaite que la promenade de bord de mer s’étende jusqu’à Pirambu et les habitants sont menacés d’expulsion. Un décret informe que les habitants qui vivent dans les maisons sur la bande maritime (env. 100m depuis la mer) doivent être déplacés vers des logements sociaux que le gouvernement leur a construit à la périphérie est de la ville (région bien peu attractive et sans travail). Les habitants de sont pas dupes, ils savent que le terrain de bord de mer vaut de plus en plus cher et que cette loi de bande maritime n’est pas appliquée dans les beaux quartiers pour les immeubles de front de mer. Heureusement, l’organisation brésilienne étant ce qu’elle est, rien que le comptage des maisons et des familles n’aboutit pas car trop complexe.
La faction Comando Vermelho (CV) domine la favela. Ce groupe criminel implanté sur tout le territoire brésilien est issu de Rio de Janeiro. Très bien organisé, il offre sécurité et assistance aux habitants de ses territoires, mais aussi soumission par la force à ses règles de vie et violences ou mort en cas de guerre avec d’autres factions ou milices.
Avec les travailleurs sociaux du CEDECA (Centro de Defesa das Crianças – Centre de Défense des Enfants), nous avons rencontré une douzaine d’ados au centre culturel Chico da Silva, principalement du groupe de théâtre Tru-Pirambu. Avec eux nous avons parcouru quelques rues (les autres étaient trop dangereuses), vu un magnifique coucher de soleil, partagé des repas, goûté le soda Guarana… Une équipe de jeunes impressionnants de conscience, de compréhension de leur situation et de créativité pour exprimer leur réalité.
Pour dénoncer cette réalité, ces jeunes se réunissent plusieurs fois par semaine au centre culturel où ils montent des spectacles mensuels sous forme de pièces de théâtre, musiques, danses, poésies, mimes … Lors du spectacle auquel nous avons assisté, les pièces qui m’ont le plus marqué étaient présentés par Yli pour le poème « Da Paz » (lien vers Da Paz dit par la poétesse Naruna, pour les lusophones), une pièce de théâtre sur le thème de l’expropriation des territoires, un jeune qui propose des hug alors qu’il porte un panneau « je suis gay » et qu’il a les yeux bandés, des danses modernes entrecoupées de messages pour dénoncer les meurtres commis par la police… C’était un grand moment pour nous de voir ce dont sont capables ces jeunes avec trois fois rien.
Mucuripe
Proche du port à la pointe de Fortaleza, Mucuripe est un vaste territoire bordé par les quartiers chics de la capitale. Initialement quartier de pêcheurs, il s’est transformé en favela depuis une cinquantaine d’années. Aujourd’hui ce territoire est de plus en plus convoité car situé avantageusement sur une colline depuis le haut de laquelle on admire le soleil levant côté Praia do Futuro et le soleil couchant côté Beira Mar.
Mucuripe est dominé par la faction GDE (Guardian Do Estado), issue de milices de l’Etat du Ceará. Cette organisation dont la structure et les chefs sont encore assez jeunes, est connue pour ses pratiques barbares. Sa présence à Mucuripe n’est plus aussi active qu’il y a quelques années. Il est recommandé de ne pas faire de signe avec 2 doigts (pour les selfies par exemple), ceux-ci représentant la faction CV… plusieurs en sont morts ! Ici, le signe est avec 3 doigts. (voir mon article sur les groupes criminels)
A Mucuripe nous avons rencontré une douzaine d’ados, magnifiques, par le biais du projet Terre des Hommes « Mucuripe da Paz » (Mucuripe de la paix). Avec eux, nous avons parcourus les ruelles, les rues, les places, vu un magnifique coucher de soleil, avons été invité plus que chaleureusement dans une famille, goûté la tapioca, l’assaï, le milkshake d’avocat, assisté à différentes actions de promotion de la paix.
Dans l’école publique EEMTI Matias Beck où ces jeunes étudient à temps plein, on a pu voir trois types d’actions.
– Des conférences et un enregistrement podcast sur le thème « septembre jaune » pour prévenir le suicide des ados. Septembre jaune est aussi connu que octobre rose au Brésil.
– L’organisation pour une classe entière d’un « cercle de paix » : sur invitation et lorsque les jeunes l’acceptent, ils se placent en cercle dans la classe et une assistante sociale lance un thème. Là, c’était « la tristesse ». L’assistante sociale pose une question, « quand est-ce que la tristesse se manifeste ?« , puis passe à son voisin une peluche en forme de cœur, qui le passe au suivant jusqu’à celui qui souhaite s’exprimer sur la question avant de continuer la passation du cœur en peluche. A chaque nouveau tour, l’assistante pose une autre question ; « comment se manifeste-t-elle ? », « que peut-on faire contre ce sentiment ?« , « que peut-on faire pour quelqu’un que l’on voit triste ? » et ainsi de suite. A la fin, la moitié de la classe pleure et l’autre la console. Les jeunes apprennent notamment qu’ils ne sont jamais seuls.
– Pour empêcher leur déscolarisation, la directrice a mis en place un système d’accueil des bébés d’adolescentes. Plusieurs jeunes filles étaient enceinte et d’autres portaient leur petit. Dans un pays où l’avortement est interdit, c’est un grand problème.
Felix a interviewé ces jeunes pour savoir quelles étaient leurs problématiques. Malgré l’insistance de Félix pour qu’ils dénoncent les gangs ou la pauvreté, les jeunes répétaient qu’ils vivaient principalement dans la crainte de la police et des injustices dont les « nègres » (comme ils se définissent) sont victimes. Les conditions sociales parfois misérables, les familles explosées, les parents emprisonnés ou morts, la domination de factions criminelles, etc., tout ça est bien supportable en comparaison de leur peur des violences/meurtres policiers ! Les nombreux cas montrent que la police peut les abattre en pleine rue et quasiment en toute impunité.
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Juan, 14 ans, la veille de notre arrivée ; il faisait avec ses copains (entre 12 et 16 ans) un battle de danse avec une enceinte pour la musique sur la place du Mirante de Mucuripe (celle de la photo ci-dessus) le vendredi en soirée, lorsque la police a souhaité les disperser et arrêter sans motif. Lorsque les tirs policiers ont commencé, les jeunes sont partis en courant et Juan a reçu une balle dans la nuque. Officiellement, le policier à tiré au sol et la balle à rebondi. Les versions officielles sont toujours comme ça. Juan était un jeune scolarisé, toujours souriant et prêt à aider, il souhaitait devenir pompier, ne prenait aucune drogue, c’était un jeune parfaitement tranquille et plein d’avenir mais qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. https://g1.globo.com/ce/ceara/noticia/2019/09/14/pm-e-preso-apos-atirar-contra-jovem-de-14-anos-apos-abordagem-em-fortaleza.ghtml
Alors, nous avons été voir du côté des autorités : la police, la justice et un centre de détention pour ados. Et nous n’avons pas été déçus !
Police : le commissariat des homicides
Au commissariat des homicides, il y a plusieurs départements dont une dizaine pour chaque secteur de la ville, un département uniquement dédié aux homicides de policiers, un département pour les personnes disparues (généralement à cause de menaces de factions ou de la police elle-même), une police secrète, etc.
Nous y avons appris que le secteur n°2 de la ville, sur les quartiers de Bom Jardim, Granja Lisboa…) il y a en moyenne 1 homicide par jour. Parmi ces homicides, 42% sont du fait des guerres de factions/milices, 33% sont perpétrés par la police elle-même et le reste est dû à des conflits personnels. Malheureusement, depuis le début de l’année, avec les messages envoyés par le nouveau gouvernement, le sentiment d’impunité des policiers a augmenté et avec lui, le nombre de meurtres. Avec un manque de formation, une immaturité due à la jeunesse, des salaires médiocres et une confrontation à des situations dramatiques, certains policiers dérapent jusqu’à se placer du côté des criminels.
Au moment de filmer l’interview, toutes les portes se sont fermées… Il semble que la communication de la police soit très encadrée et qu’elle ne peut avoir lieu qu’en présence d’un porte parole du département de communication.
Justice : tribunal pour mineurs
Nous avons assisté à l’audience d’un jeune homme condamné pour plusieurs infractions, qui avait déjà « payé sa dette » en prison pour mineur et était en liberté conditionnelle. Impliqué dans 2 bagarres durant cette période, il repassait devant le tribunal pour une éventuelle nouvelle incarcération. Son père, un responsable légal doit être présent, était très tendu et battait rapidement de la jambe sous la table. Le juge a d’emblée demandé de quel « territoire » le jeune était. Territoire GDE. La défenseur publique et le ministère ont avancé quelques arguments et le juge a rapidement statué. Le jeune qui venait d’avoir 18 ans, devrait être incarcéré dans une prison hostile aux GDE. Aussi, le juge lui propose une nouvelle période de sursis de 6 mois en insistant bien sur le risque d’incarcération s’il y avait encore un quelconque soucis.
D’autres familles attendaient dans le couloir. Toutes semblaient de condition sociale basse. L’ambiance était extrêmement tendue.
Centre de privation de liberté pour filles adolescentes
Dans une maison du quartier Padre Andrade, une quarantaine de jeunes femmes entre 14 et 18 ans sont détenues sur décision de justice. La majorité y sont pour trafic de drogue ou d’armes. Nous en avons interviewé deux ; la première est un peu un cas isolé car elle vient d’une famille de classe moyenne de São Paulo et a commis un cambriolage dans une villa de gouverneur influencée par ses copains. La seconde est originaire d’une favela de Fortaleza et a tué une mère de famille, sans doute dans le cadre d’une guerre de gangs ou de drogue. Les deux disent être bien traitées dans ce centre et y avoir découvert une autre façon de vivre mieux. Les jeunes femmes y reçoivent des cours scolaires, professionnels (coiffure, informatique…), des cours de musique, des entrainements de foot…
Il existe une dizaine de centres de détention pour mineurs, garçons et filles, à Fortaleza pour un total d’environ 600 places.
Mais encore
Arriver avec 3 allemands dont 2 jeunes et 1 youtuber blond aux yeux bleus, c’est le succès garanti ! Félix est reçu comme une star par les jeunes qui lui demandent autographes et selfies, avec et sans Niels. Moi qui suis totalement inculte en ce qui concerne les youtuber, j’ai trouvé Félix très travailleur, curieux de la vie et heureusement plutôt humble. Pareil que son caméraman, qui en plus est à mon gout très beau garçon. Lorenz, le « vieux », c’est-à-dire de mon âge, très sympa, curieux, discret et qui évitait autant que possible d’être sur les photos. C’était franchement agréable de passer cette semaine avec cette équipe de garçon.
Dès nos premiers jours, nous avons été confronté à une réalité faite de gangs, de crimes, d’injustices… Mais, je souhaitais que les allemands aient également une vision plus heureuse de ce Brésil que j’aime. Aussi, j’ai tenté de mettre en évidence les aspects tels que la gentillesse et l’accueil, l’art, le « jeitinho brasileiro » (façon que les brésiliens ont pour solutionner tout problème), et leur ai beaucoup raconté sur l’autre Brésil, celui des richesses et des beautés naturelles, de la culture, de l’éducation…
A la fin de la semaine, je leur ai demandé s’ils souhaitent revenir un jour au Brésil. La réponse a été immédiate et unanime : oui!
Cette semaine a été d’une richesse incroyable pour moi. J’y ai découvert un Brésil que je ne connaissais pas du tout ; celui de la violence et de la cruauté, tout autant que celui des nombreuses actions entreprises par les associations humanitaires, certains policiers, certains juges, certains politiques et surtout par ces jeunes d’une beauté et d’une force exceptionnelles.
Merci Yli, Dudu, Daniela, Michael, Cicero et tous les autres
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